Projet de règlement prévoyant certaines prohibitions à l’égard de véhicules automobiles et de moteurs à combustion

Mémoire présenté par CAA-Québec au Bureau de la transition climatique et énergétique, ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs sur le projet de règlement prévoyant certaines prohibitions à l’égard de véhicules automobiles et de moteurs à combustion - Le 23 août 2024

Introduction

CAA-Québec est un chef de file en automobile. En plus d’offrir à 1,3 million de membres une assistance routière sur laquelle ils peuvent compter partout et en tout temps, il communique des informations et prodigue des conseils en matière de mobilité. CAA-Québec, c’est aussi la mobilité électrique: guide d’achat d’un véhicule électrique (VE), essais routiers de VE, conférences, renseignements sur l’autonomie, la conduite, les bornes, la recharge publique ou à domicile… L’organisation s’est résolument engagée à accompagner les automobilistes sur la voie de l’électrification, avec la transparence qui l’a toujours caractérisée.

L’environnement et la mobilité durable se retrouvent au cœur des préoccupations de CAA-Québec. Énergies de substitution, utilisation rationnelle de l’automobile et solutions de rechange efficaces, l’organisme suit tout ce qui peut faire avancer les choses et intervient au besoin pour représenter les intérêts de ses membres, et par extension, de tout le public.

Ayant participé à la consultation du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs portant sur la prohibition de la vente de véhicules automobiles à combustion à l’automne 2023, CAA-Québec a pris connaissance avec intérêt du projet de règlement prévoyant certaines prohibitions à l’égard de véhicules automobiles et de moteurs à combustion et de son analyse d’impact réglementaire.

Pour le Québec, l’objectif est noble de mettre en place une réglementation afin, d’une part, de respecter son engagement à réduire ses émissions de gaz à effet de serre liées au transport routier et, d’autre part, d’être un chef de file dans le domaine de la lutte contre les changements climatiques. Cependant, cela ne signifie pas que l’interdiction complète de la vente des véhicules neufs qui ne sont pas mus exclusivement au moyen d’un moteur électrique ou au moyen d’un autre mode de propulsion qui n’émet aucun polluant soit la solution la plus souhaitable pour tous les automobilistes de toutes les régions du Québec.

1.    Une ouverture essentielle

CAA-Québec salue d’abord la position du gouvernement du Québec à l’égard de la revente de véhicules usagés à moteur à combustion après 2034. En effet, un véhicule d’occasion déjà produit est moins dommageable pour l’environnement que la construction d’un véhicule neuf, pourvu que le modèle de seconde main soit en bon état. Il aurait été impensable de pousser vers le recyclage les modèles de véhicules à combustion qui ont encore une bonne durée de vie (aujourd’hui, un véhicule a facilement une longévité de 15 à 20 ans).

Un modèle d’occasion constitue également une option presque inévitable pour les ménages à faibles revenus, puisque le budget requis pour s’en procurer un est moindre que pour un véhicule neuf.

Afin de limiter les GES émis par les véhicules automobiles usagés à combustion, CAA-Québec propose l’implantation dans la province d’un programme d’inspection obligatoire du système antipollution pour les véhicules de 8 ans et plus lors d’un changement de propriétaire, tel qu’il avait été prévu en 2012 dans le projet de loi n 48, Loi concernant l’inspection environnementale des véhicules automobiles1. Une aide financière provenant du Fonds d’électrification et de changements climatiques pourrait également être offerte aux automobilistes afin d’absorber une partie des coûts de cette inspection obligatoire et des réparations requises le cas échéant.

CAA-Québec accueille aussi favorablement l’ouverture du gouvernement à effectuer une «évaluation de la maturité du marché […] vers 2030, afin de permettre d’éventuels ajustements, pour garantir une transition réussie en 2035». Plusieurs des commentaires et des questionnements soulevés dans ce mémoire laissent en effet augurer qu’un assouplissement du projet de règlement pourrait s’imposer.

2. Une harmonisation reste nécessaire

Tout comme lors de la consultation tenue par le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs sur le sujet, CAA-Québec s’interroge sur la pertinence, pour la province, de prohiber la vente des véhicules hybrides rechargeables neufs à partir de 2035, alors qu’elle sera permise presque partout ailleurs en Amérique du Nord, y compris en Colombie-Britannique et en Californie, deux juridictions très favorables à l’électrification des transports.

CAA-Québec tient à rappeler que les véhicules hybrides rechargeables permettent une conduite zéro émission. En même temps, leur groupe motopropulseur à essence apporte une certaine tranquillité d’esprit aux personnes qui n’ont pas accès à la recharge domestique et à celles qui parcourent très souvent de longs trajets dans des endroits peu achalandés et mal desservis par les réseaux publics de recharge.

Selon CAA-Québec, il demeurera difficile de se prononcer sur la prohibition de véhicules émettant des polluants tant que les États-Unis ne mettront pas de l’avant leurs objectifs. D’ici là, la province doit minimalement s’aligner sur ce que le reste du Canada et la Californie prévoient.

De plus, face à la hausse moins rapide que prévue des ventes de véhicules 100% électriques aux États-Unis, plusieurs constructeurs automobiles ont manifesté leur intention de réintégrer des véhicules hybrides rechargeables à leur offre nord-américaine (notamment Ford et General Motors). Ce ralentissement de la croissance des ventes ne touche pas le Québec pour le moment, entre autres parce que certains automobilistes souhaitent conclure une transaction avant la baisse annoncée des subventions québécoises pour l’achat d’un véhicule électrique ou hybride rechargeable.

Cependant, la conception de nouveaux modèles hybrides rechargeables a parfois pour effet de ralentir le développement de véhicules 100% électriques. Par exemple, Ford a annoncé en août 2024 qu’il déplacerait 10% des fonds prévus pour l’électrification de sa flotte vers d’autres types de motorisations2. Une telle situation risque de restreindre l’offre de ces derniers modèles et de contribuer au maintien de prix élevés, d’autant plus que la production de véhicules strictement à batterie n’est pas encore rentable pour plusieurs constructeurs.

3. Des promesses non tenues, d’autres reportées

Puisque la vente des véhicules zéro émission est actuellement en retard par rapport aux objectifs initialement fixés, de nombreux constructeurs automobiles revoient leur cibles, alors que d’autres relancent leurs programmes de véhicules à combustion ou y réinvestissent. Parmi eux figurent Porsche, Volkswagen, Genesis, Jaguar et Land Rover.

Au Canada, Ford a récemment reporté la conversion de son complexe d’Oakville, en Ontario, en une usine de production de véhicules 100 % électriques. L’établissement continuera de construire des véhicules à moteur thermique, en l’occurrence des camionnettes Super Duty à essence et diesel. Par le fait même, le constructeur a abandonné l’idée de lancer le véhicule multisegment électrique à sept places qu’il prévoyait assembler en Ontario.

Tout ceci n’a rien de rassurant en ce qui a trait à la parité entre les prix des véhicules à combustion et ceux des véhicules électriques prévue entre 2027 et 2030. Tant que cet équilibre ne sera pas atteint, l’avantage économique des VE se trouvera à diminuer en raison de la disparition annoncée, pour 2027, de l’aide financière du programme Roulez vert à l’égard de l’acquisition d’un VE. Le coût d’assurance de dommages des modèles électriques, généralement supérieur à celui d’un véhicule à essence équivalent, restreint déjà les économies possibles pour certains utilisateurs de VE, particulièrement ceux qui parcourent une faible distance annuelle.

En fait, beaucoup de choses sont promises par rapport aux véhicules électriques, dont la baisse des prix. Il est vrai que le prix de détail de certains modèles a diminué ces derniers mois, par exemple celui des Ford Mustang Mach-E et F-150 Lightning ainsi que celui du Nissan Ariya. Il reste que dans l’ensemble, le coût d’acquisition d’un modèle 100% électrique continue de dépasser allègrement celui d’un véhicule à combustion équivalent. C’est sans compter l’effet des taux de financement et de location, souvent plus élevés pour les modèles électrifiés.

La commercialisation de batteries plus denses en énergie que les actuels accumulateurs au lithium-ion est également annoncée depuis plusieurs années. Bon nombre de fabricants de batteries et de constructeurs automobiles ont annoncé travailler à l’atteinte de cet objectif. Toutefois, force est de constater que ces nouvelles solutions d’alimentation brillent encore par leur absence dans la vaste majorité des modèles électriques actuellement offerts.

Ces solutions novatrices seront-elles implantées à grande échelle assez rapidement pour contribuer à l’équilibre des coûts entre les modèles électriques et les véhicules à essence d’ici 2035? Est-ce que le Québec à lui seul peut faire bouger l’industrie automobile pour que le coût de production d’un véhicule électrique baisse dans l’ensemble de l’Amérique du Nord, qui a un marché automobile très uniforme?

Pour CAA-Québec, la province doit éviter de mettre tous ses œufs dans le même panier en misant sur une seule catégorie de véhicules, c’est-à-dire les VE. Si on interdit, par exemple, les véhicules à combustion qui émettent présentement des polluants, on vient ainsi fermer la porte aux modèles thermiques qui pourraient, dans un futur plus ou moins lointain, fonctionner avec du carburant synthétique.

4. Des inquiétudes demeurent

Malgré les avancées technologiques anticipées au cours des prochaines années, CAA-Québec demeure avec d’importantes inquiétudes quant à la faisabilité de prohiber complètement la vente des véhicules à combustion dans la province en 2035.

Même si l’électrification des transports constitue un choix logique pour la province puisqu’elle dispose de l’hydroélectricité (une énergie propre et abordable), ce n’est pas le cas pour tous nos voisins des autres provinces canadiennes et des États-Unis.

De plus, il n’y a toujours aucune garantie de la part du gouvernement du Québec qu’il y aura suffisamment d’électricité pour alimenter l’ensemble des véhicules, en plus de toutes les résidences où les besoins sont de plus en en plus importants à mesure que les autres sources d’énergie sont interdites pour le chauffage.

La production d’électricité devra évidemment augmenter drastiquement pour faire face à la demande accrue. Et qui dit production à la hausse dit ajout d’infrastructures supplémentaires à fort prix. Ces coûts seront inévitablement redirigés vers les consommateurs.

Par ailleurs, la hausse des coûts de possession d’un VE constitue une conséquence à prendre en considération. En effet, les électromobilistes ne paient actuellement aucune taxe routière. Ils ne contribuent donc pas à l’entretien du réseau routier, et ce, même si les VE sont plus lourds que des véhicules à combustion équivalents. Comme le gouvernement prévoit que le Fonds des réseaux de transport terrestre se retrouvera en situation de déficit cumulé à partir de 2026-2027, les électromobilistes passeront inévitablement à la caisse. C’est une question d’équité entre les automobilistes.

Aussi, la cible de 600 000 places de stationnement adaptées à la recharge d’ici 2030, qui apparait dans la Stratégie québécoise sur la recharge de véhicules électriques publiée à l’automne 2023, ne suffira pas à répondre aux besoins de tous les locataires et propriétaires de condominiums au Québec. Par ailleurs, les personnes qui habitent dans un quartier où le stationnement dans la rue représente la norme devront continuer de se fier exclusivement à des bornes publiques, une option beaucoup plus coûteuse et incertaine qu’une borne résidentielle.

Enfin, l’accès à la recharge publique est parfois difficile dans les régions éloignées de même qu’à l’extérieur du Québec, surtout hors des grands centres et loin des axes routiers principaux. Le même constat s’applique actuellement dans plusieurs États américains. Si elle n’évoluait pas au même rythme que la croissance des réseaux publics de recharge prévue au Québec, cette situation pourrait nuire grandement à l’utilisation d’un VE pour des déplacements de loisirs ou professionnels à l’extérieur des corridors achalandés.

5. Des hypothèses qui soulèvent des questions

Certaines hypothèses utilisées dans le cadre de l’analyse d’impact réglementaire (AIR) soulèvent des questionnements.

Tout d’abord, les économies estimées pour les consommateurs semblent amplifiées par le fait que l’on compare la possession d’un véhicule électrique avec la possession d’un véhicule de luxe qui carbure à l’essence super. Pour connaître les réelles économies pour un consommateur, il aurait été judicieux d’utiliser un véhicule parmi les plus vendus au Québec, qui fonctionne à l’essence ordinaire, et d’utiliser un kilométrage annuel de 13000 km. Un tel scénario refléterait davantage l’utilisation contemporaine réelle d’un véhicule de promenade dans la province, et présenterait de manière plus réaliste l’avantage lié à l’utilisation d’un modèle électrique.

C’est sans compter que, sur le plan environnemental, on ne peut nier que la conception d’un VE génère plus d’émissions de GES qu’une voiture conventionnelle. Au Québec, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) estime qu’il est moins polluant et plus viable écologiquement, en termes de réduction de GES, d’utiliser un véhicule électrique à partir de 32000 km. L’achat de ce type de véhicule est donc désavantageux sur le plan environnemental pour les nombreux automobilistes qui parcourent très peu de kilomètres sur une base annuelle.

Compte tenu des éléments soulignés dans le présent mémoire, CAA-Québec estime en outre prématuré le postulat de conformité complète de l’offre de véhicules neufs à la norme sur les véhicules zéro émission du gouvernement du Québec d’ici 2035. Même le scénario de non-conformité présenté à l’annexe III de l’AIR paraît trop optimiste après avoir examiné le marché actuel, et compte tenu de l’incertitude liée à la présentation du projet de règlement plus de 10 ans avant sa mise en vigueur proposée. Les effets négatifs potentiels pour les consommateurs, décrits dans le présent document, pourraient donc s’appliquer à un plus important nombre de citoyens que l’anticipe l’AIR.

Par ailleurs, pour le tarif domestique d’électricité, l’AIR utilise une prévision d’inflation de 2%. Or, le 1er août 2024, Hydro-Québec a déjà demandé à la Régie de l’énergie de pouvoir augmenter le tarif résidentiel de 3% à compter du 1er avril 2025. Il serait ensuite prévu que la hausse pour les cinq années subséquentes suive l’inflation, dont la volatilité s’est manifestée de manière éclatante ces dernières années. Dans ce contexte, le coût d’utilisation d’un véhicule électrique pourrait s’écarter considérablement des prévisions de l’AIR, même en tenant compte du fait qu’il demeurerait probablement inférieur à celui du ravitaillement d’un véhicule à moteur thermique.

Enfin, en ce qui a trait à l’impact sur les stations-service, grossistes et marchands de pétrole et raffineries, l’AIR s’appuie sur une marge au détail de 7 cents/litre en se fiant à la moyenne des années 2010 à 2020. Selon les calculs de CAA-Québec, cette marge se situe actuellement à 10,3 cents/litre. Quant à la marge de raffinage exposée dans l’AIR, elle provient d’estimations du ministère des Finances ainsi que du ministère des Ressources naturelles et des Forêts qui sont périmées, puisqu’elles datent de 2022.

Conclusion

CAA-Québec juge tout à fait légitime l’objectif principal du projet de règlement prévoyant certaines prohibitions à l’égard de véhicules automobiles et de moteurs à combustion, qui consiste à favoriser la carboneutralité du Québec en 2050. Il est également louable, pour le Québec, de vouloir figurer parmi les meneurs en matière d’électrification des transports à l’échelle mondiale.

L’atteinte de ces cibles doit cependant se faire dans le respect de la capacité financière des automobilistes et des usagers la route. Elle doit également tenir compte des enjeux de mobilité de l’ensemble des citoyens, peu importe leur accès à une source de recharge domestique ou publique pour un véhicule électrique.

Après avoir analysé le marché automobile actuel en Amérique du Nord, constaté l’évolution plus lente que prévue des facteurs d’équilibre financier et d’accès universel à la recharge, puis examiné les objectifs d’autres juridictions à l’égard des véhicules électriques, CAA-Québec estime prématuré d’établir au 31 décembre 2034 la date butoir pour la vente de véhicules et de moteurs à combustion interne au Québec.

La réglementation proposée devrait au moins permettre la vente de véhicules hybrides rechargeables, comme dans les autres provinces canadiennes et aux États-Unis. Cette inclusion offrirait une solution alternative aux personnes qui désirent un véhicule neuf et qui ne peuvent pas installer de borne de recharge domestique. Ces automobilistes pourraient tout de même profiter d’une conduite zéro émission lorsqu’ils seraient en mesure d’utiliser un réseau public de recharge.

CAA-Québec considère également trop rapide l’adoption d’un projet de loi de nature contraignante plus de 10 ans avant sa mise en vigueur. Les nombreuses promesses et volte-face des constructeurs automobiles à l’égard des véhicules électriques, au cours des dernières années, illustrent à quel point les conditions de marché peuvent changer rapidement en fonction, notamment, de la demande du public, de l’approvisionnement en pièces, de la situation économique et de l’environnement réglementaire nord-américain dans son ensemble.

Il apparaît donc d’ores et déjà nécessaire que le gouvernement du Québec réexamine la maturité du marché autour de 2030 et apporte les ajustements qui s’imposent, tel qu’il l’a déjà évoqué.

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Sources: 1-Mémoire présenté par CAA-Québec à la Commission des transports et de l’environnement dans le cadre de l’étude du projet de loi no 48 Loi concernant l’inspection environnementale des véhicules automobiles.

2-«Ford annule carrément son VUS électrique à 3 rangées de sièges», rpmweb.ca, 22 août 2024.