Consultation du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs portant sur la prohibition de la vente de véhicules automobiles à combustion
Introduction
CAA-Québec est un chef de file en automobile. En plus d’offrir à son 1,3 million de membres une assistance routière sur laquelle ils peuvent compter partout et en tout temps, il communique des informations et prodigue des conseils en matière de mobilité. Et CAA-Québec, c’est aussi la mobilité électrique : guide d’achat d’un véhicule électrique (VE), essais routiers de VE, conférences, renseignements sur l’autonomie, la conduite, les bornes, la recharge publique ou à domicile… L’organisation s’est résolument engagée à accompagner les automobilistes sur la voie de l’électrification, avec la transparence qui l’a toujours caractérisée.
L’environnement et la mobilité durable se retrouvent au cœur des préoccupations de CAA-Québec. Énergies de substitution, utilisation rationnelle de l’automobile et solutions de rechange efficaces, l’organisme suit tout ce qui peut faire avancer les choses et intervient au besoin pour représenter les intérêts de ses membres, et par extension, de tout le public.
C’est donc avec grand intérêt que CAA-Québec prend part à la consultation du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCF) portant sur la prohibition de la vente de véhicules automobiles à combustion. Le présent document reprend dans l’ordre les questions présentées lors de la séance de préconsultation du vendredi 3 novembre 2023.
Question 1
Pour les véhicules routiers légers neufs, quelle(s) catégorie(s) de véhicules émettant des polluants devraient être prohibée(s)?
A – Véhicules à combustion traditionnels (essence, diesel)
B – Véhicules à combustion à carburant alternatif (propane, gaz naturel …)
C – Véhicules hybrides rechargeables
D – Autres (spécifiez)
E – Spécifiez la ou les dates d’interdiction (maximum 31 décembre 2035)
CAA-Québec estime qu’il est présentement prématuré de prohiber des catégories de véhicules au plus tard le 31 décembre 2035, puisqu’il est notamment hasardeux de faire cavalier seul dans le marché automobile nord-américain, de fermer la porte à certains développements technologiques et de se diriger vers une seule avenue.
Une indispensable harmonisation
Le marché automobile nord-américain est un marché lié, car l’offre des constructeurs automobiles est similaire tant aux États-Unis qu’au Canada. Ainsi, les modèles proposés dans la province sont largement identiques à ceux offerts dans le reste de l’Amérique du Nord. Comme le poids du marché automobile québécois est très faible relativement au marché nord-américain et que le Québec ne peut pas se tourner vers la production locale parce qu’il ne possède pas d’usine de fabrication, il est impossible de fonctionner de manière indépendante du reste du marché nord-américain en prohibant des catégories de véhicules sans s’assurer que nos voisins canadiens et américains en feront autant.
Plus précisément en ce qui a trait aux véhicules hybrides rechargeables, CAA-Québec s’interroge sur la pertinence pour la province d’exclure ce type de véhicules de sa cible d’électrification des véhicules routiers légers, alors que ceux-ci en feront partie en Colombie-Britannique, en Californie et au Canada. À cet effet, il ne faut pas oublier que les véhicules hybrides rechargeables permettent une conduite zéro émission.
Selon CAA-Québec, il est actuellement extrêmement difficile de se prononcer sur la prohibition de véhicules émettant des polluants tant que les États-Unis ne mettront pas de l’avant leurs objectifs. D’ici là, la province doit minimalement s’aligner sur ce que le reste du Canada et la Californie prévoient.
Davantage d’options pour le développement technologique, l’environnement et les consommateurs
Pour CAA-Québec, la province doit éviter de mettre tous ses œufs dans le même panier en misant sur une seule catégorie de véhicules, c’est-à-dire les VE. Si on interdit, par exemple, les véhicules à combustion qui émettent présentement des polluants, on vient ainsi fermer la porte aux modèles thermiques qui pourraient dans un futur plus ou moins lointain fonctionner avec du carburant synthétique.
Sur le plan environnemental, on ne peut nier que la conception d’un VE génère plus d’émissions de GES qu’une voiture conventionnelle. Au Québec, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) estime qu’il est moins polluant et plus viable écologiquement, en termes de réduction de GES, d’utiliser un véhicule électrique à partir de 32 000 km. L’achat de ce type de véhicule est donc désavantageux sur le plan environnemental pour les nombreux automobilistes qui parcourent très peu de kilomètres sur une base annuelle.
Aussi, le constructeur automobile Toyota affirme qu’il peut produire 90 hybrides classiques avec les matières premières nécessaires pour fabriquer un seul véhicule 100% électrique1. Par surcroît, même si les véhicules hybrides classiques tirent leur énergie du carburant, la réduction de la consommation d’essence grâce à la présence du moteur électrique permet de faire baisser les émissions de GES de façon proportionnelle.
En ce qui a trait à la consommation, CAA-Québec s’interroge sur l’effet de la prohibition de certaines catégories de véhicules sur le coût de ces derniers, alors que l’équilibre entre le prix d’un VE et son équivalent à essence se fait encore attendre. De plus, en raison des coûts de production plus importants des véhicules électriques , les constructeurs automobiles commencent à retarder la production de modèles électriques ainsi qu’à annuler celle de modèles plus abordables (version de base à deux roues motrices des Chevrolet Blazer EV et Equinox EV, etc.). Par ailleurs, le plan à long terme concernant l’aide financière à l’achat d’un véhicule électrique n’est pas encore connu.
Bref, CAA-Québec ne souhaite pas que les consommateurs soient pénalisés en se butant à des portes fermées si le Québec décide de prohiber certaines catégories de véhicules. Cependant, il accueille favorablement l’idée de cibles croissantes et d’adoption d’un véhicule électrique.
Question 2
Afin de soutenir l’application de l’article 53 de la Loi sur la qualité de l’Environnement afin de prohiber la vente de certaines catégories de véhicules neufs, le Québec songe à utiliser de façon complémentaire l’interdiction de leur immatriculation.
Est-ce que cette interdiction de l’immatriculation des véhicules prohibés est une avenue souhaitable?
Pour CAA-Québec, si le gouvernement du Québec en venait à prohiber la vente de certaines catégories de véhicules neufs, sans qu’il y ait une harmonisation avec les provinces voisines et États voisins, il serait absolument nécessaire d’envisager cette avenue afin de s’assurer que les consommateurs soient dissuadés d’aller s’approvisionner chez nos voisins immédiats (Ontario, Nouveau-Brunswick, etc.).
Question 3
Dans le cas des véhicules usagés, quel type d’encadrement devrait selon vous être envisagé?
Selon CAA-Québec, les transactions de véhicules usagés, quelle que soit leur motorisation, ne devraient pas être interdites. En effet, un véhicule d’occasion déjà produit est moins dommageable pour l’environnement que la construction d’un véhicule neuf, pourvu qu’il soit en bon état.
De plus, il serait impensable de pousser vers le recyclage les modèles de véhicules à combustion qui ont encore une bonne durée de vie (aujourd’hui, un véhicule a facilement une longévité de 15-20 ans). Il est aussi louable de se demander ce qu’il adviendrait des pièces de tous ces modèles poussés chez un recycleur s’il n’y avait plus de modèles à essence sur la route pour les utiliser, alors que la remise en marché d’une pièce recyclée a moins d’impacts environnementaux que la production d’une pièce neuve d’origine3.
Cependant, afin de limiter les GES émis par les véhicules automobiles usagés à combustion, CAA Québec propose l’implantation dans la province d’un programme d’inspection obligatoire du système antipollution pour les véhicules de 8 ans et plus lors d’un changement de propriétaire, tel qu’il avait été prévu en 2012 dans le projet de loi n 48, Loi concernant l’inspection environnementale des véhicules automobiles4. Une aide financière provenant du Fonds d’électrification et de changements climatiques pourrait également être offerte aux automobilistes afin d’absorber une partie des coûts de cette inspection obligatoire et des réparations requises le cas échéant.
Enfin, CAA-Québec juge important de rappeler que le budget requis pour acheter un modèle d’occasion est moindre que pour un véhicule neuf. Il s’agit donc d’une option presque inévitable pour les ménages à faibles revenus.
Question 4
Selon vous, quels sont les plus grands obstacles à l’atteinte d’un parc de véhicules 100 % électrique ou carboneutre? Par exemple :
Les besoins particuliers de certains citoyens (régions éloignées, certains corps de métier, loisir ou travail en forêt …)
L’accès à la recharge, publique ou à domicile
Les caractéristiques des véhicules électriques (méconnaissance, prix, autonomie, climat hivernal …)
Le transport commercial ou industriel, notamment sur de longues distances
Pour CAA-Québec, les caractéristiques des VE ne sont pas un obstacle en elles-mêmes. En effet, les diverses conférences sur le sujet prononcées par ses experts automobiles lors de différents salons de même que l’accompagnement qu’offrent ses services-conseils en mobilité à ses membres en processus d’acquisition d’un VE prouvent que ces véhicules peuvent convenir dans plusieurs situations.
Toutefois, d’autres obstacles se dressent relativement à l’atteinte d’un parc de véhicules 100 % électrique ou carboneutre. Tout d’abord, avant de fixer une année pour interdire des catégories de véhicules émettant des polluants, le gouvernement du Québec devra garantir à la population qu’il y aura suffisamment d’électricité pour alimenter l’ensemble des véhicules en plus de toutes les résidences où les besoins sont de plus en plus importants à mesure que les autres sources d’énergie sont interdites pour le chauffage.
Ensuite, la problématique de l’accès à la recharge à domicile pour les résidents d’un immeuble multilogements demeure un défi qui ne se surmontera pas rapidement. La cible de 600 000 places de stationnement adaptées à la recharge d’ici 2030, qui apparaît dans la Stratégie québécoise sur la recharge de véhicules électriques publiée à l’automne 2023, constitue un pas dans la bonne direction. Elle ne suffira cependant pas à répondre aux besoins de tous les locataires et propriétaires de condominiums au Québec. Par ailleurs, les personnes qui habitent dans un quartier, où le stationnement dans la rue représente leur norme, devront continuer de se fier exclusivement à des bornes publiques, une option beaucoup plus coûteuse et incertaine qu’une borne résidentielle.
Aussi, l’accès à la recharge publique dans les régions éloignées, de même qu’à l’extérieur du Québec, surtout hors des grands centres et loin des axes routiers principaux, notamment dans les provinces de l’Atlantique, est parfois difficile. Le même constat s’applique actuellement dans plusieurs États américains. Si elle n’évoluait pas au même rythme que la croissance des réseaux de recharge publics prévue au Québec, cette situation pourrait nuire grandement à l’utilisation d’un VE pour des déplacements de loisirs ou professionnels à l’extérieur des corridors achalandés.
Question 5
À votre avis, au-delà des gains GES, quels seront les impacts économiques d’interdire les véhicules à combustion? Par exemple, sur :
L’importation de produits pétroliers
La production d’électricité
La disponibilité des pièces de rechange pour les véhicules légers
La fermeture de stations-service, parfois dans de petites localités
L’emploi, la transition de main-d’œuvre vers le secteur des véhicules électriques
Autres (indiquez les plus significatifs)
Selon CAA-Québec, les impacts économiques seront nombreux, et ce, autant pour les industries et les entreprises que les consommateurs.
En effet, si la vente de véhicules à combustion est prohibée, le Québec importera assurément moins de produits pétroliers, ce qui aura un effet direct sur les deux raffineries situées sur le territoire de la province. De plus, certaines stations-service pourraient fermer, ce qui entraînerait des pertes d’emplois.
Évidemment, la production d’électricité devra augmenter drastiquement pour faire face à la demande accrue. Et qui dit production à la hausse, dit ajout d’infrastructures supplémentaires à fort prix, et ces coûts seront inévitablement redirigés vers les consommateurs.
L’interdiction des véhicules à combustion aura aussi un impact sur l’industrie du service après-vente, de l’entretien et de la réparation des véhicules. Celle-ci devra assumer des coûts plus élevés pour se réoutiller, former la main-d’œuvre, etc. Certains ateliers mécaniques pourraient ainsi être contraints de devoir fermer leurs portes. Le gouvernement pourrait songer à mettre en place des mesures d’aide financière pour faciliter la transition du secteur.
Par ailleurs, la hausse des coûts de la possession d’un VE constitue une conséquence à prendre en considération. En effet, les électromobilistes ne paient actuellement aucune taxe routière. Ils ne contribuent donc pas à l’entretien du réseau routier, et ce, même si les VE sont plus lourds que des véhicules à combustion équivalents. Comme le gouvernement prévoit que le Fonds des réseaux de transport terrestre se retrouvera en situation de déficit cumulé à partir de 2026-2027, les électromobilistes passeront inévitablement à la caisse. C’est une question d’équité entre les automobilistes.
Enfin, comme mentionné précédemment, CAA-Québec craint que l’achat d’un véhicule coûte plus cher pour les consommateurs, parce que les coûts de production d’un VE sont actuellement beaucoup plus élevés que ceux d’un modèle à essence. Le point d’équilibre qui va rendre les VE moins chers sans l’apport de l’aide financière se fait toujours attendre. Cela dit, plusieurs technologies prometteuses sont en développement, mais tant qu’elles ne se matérialiseront pas, nul ne peut présumer de rien.
Question 6
Est-ce que le Québec devrait interdire des catégories de véhicules lourds neufs émettant des polluants?
A – Non
B – Véhicules à combustion (essence, diesel)
C – Véhicules à carburant alternatif (propane, gaz naturel …)
D – Véhicules hybrides rechargeables
E – Autres (spécifiez)
F – Spécifiez l’année d’interdiction, si applicable.
En ce moment, il n’est pas possible de se procurer des véhicules-remorques électriques, car cette technologie est simplement en voie de développement. Alors, qu’en sera-t-il en dans quelques années? CAA-Québec ne connaît malheureusement pas l’avenir et tout dépendra de la technologie disponible. Donc, tout comme pour les véhicules routiers légers, CAA-Québec estime qu’il est prématuré d’interdire des catégories de véhicules lourds neufs émettant des polluants et de spécifier une année d’interdiction.
Question 7
Quel (s) type(s) de mesure le Québec devrait-il mettre en place pour accélérer l’électrification du transport moyen et lourd?
A – Une norme VZE lourds, soit des exigences de ventes pour les fabricants
B – Une norme visant les parcs, du type « Advanced Clean Fleets » en Californie
C – Les deux approches
D – Autre (spécifiez)
E – Spécifiez la/les année(s) d’implantation souhaitée, si applicable.
Selon CAA-Québec, les deux approches sont à préconiser. Cependant, l’implantation de ces normes devra se faire graduellement afin de ne pas affaiblir la valeur de revente des véhicules moyens et lourds usagés toujours fonctionnels et en état de rouler, et de tenir compte des avancées liées à l’électrification des différents types de camions.
Selon vous, quels sont les plus grands obstacles à l’électrification du secteur des véhicules moyens et lourds? Par exemple :
La puissance limitée du réseau électrique pour charger les parcs de véhicules
Le transport commercial/industriel sur de longues distances
Les caractéristiques des véhicules électriques (méconnaissance, coût d’acquisition, autonomie, climat hivernal …)
L’accès à la recharge sur la route, dont l’accès au courant triphasé pour les BRCC
Les besoins particuliers de certains propriétaires (régions éloignées, chemins forestiers, routes isolées …)
L’évolution des technologies (électrique, hydrogène…)
Pour CAA-Québec, la principale barrière à l’électrification du secteur des véhicules moyens et lourds est la faible offre de VE pour certains types de camions, dont les véhicules-remorques. En effet, en 2023, il existe encore très peu ou pas du tout de véhicules-remorques électriques qui pourraient répondre aux besoins du service d’assistance routière de CAA-Québec. Lion Électrique et une autre entreprise travaillent actuellement au développement d’une technologie visant à électrifier les équipements de remorquage et à optimiser les véhicules sur lesquels seront ajoutés ces équipements.
L’autonomie éventuelle des véhicules-remorques électriques et leur capacité de charge représentent également des obstacles importants pour une flotte d’assistance routière comme celle de CAA Québec.
Conclusion
CAA-Québec juge prématurée la prohibition de certaines catégories de véhicules légers neufs au plus tard le 31 décembre 2035, car il estime hasardeux de faire cavalier seul dans le marché automobile nord-américain, de fermer la porte maintenant à certains développements technologiques et de se diriger vers la seule avenue des véhicules électriques, alors que de nombreuses questions se posent quant à l’alimentation de la province en électricité.
Cependant, CAA-Québec accueille favorablement l’idée de cibles croissantes de production et d’adoption d’un VE. De plus, afin de limiter les GES émis par les véhicules automobiles usagés à combustion, CAA-Québec propose l’implantation dans la province d’un programme d’inspection obligatoire du système antipollution pour les véhicules de 8 ans et plus lors d’un changement de propriétaire.
Enfin, en ce qui a trait aux véhicules lourds, même si CAA-Québec estime qu’il est prématuré d’interdire des catégories de véhicules émettant des polluants, puisque la technologie n’est pas encore au rendez-vous, il est favorable à l’adoption d’une norme visant les ventes pour les constructeurs et d’une autre concernant les parcs, à condition que leur implantation soit graduelle.
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Source
1- Une règle mystérieuse explique pourquoi Toyota préfère l’hybride à l’électrique
2- Lucid perdrait 335 000 $US par véhicule vendu.
3- https://arpac.org/le-recyclage-automobile/environnement/
4-Mémoire présenté par CAA-Québec à la Commission des transports et de l’environnement dans le cadre de l’étude du projet de loi no 48 Loi concernant l’inspection environnementale des véhicules automobiles